Interview du psychosociologue, Yves Duron co-fondateur de Motiva par Collective Org
Nous avons interviewé Yves Duron, Psychosociologue, co-fondateur de Motiva et directeur associé de Nextmodernity qui a répondu à nos questions sur son métier et son action auprès des entreprises et des futurs employés pour analyser leur engagement, et leur motivation.
“Nous concevons des outils pour aider à comprendre ce qui nous motive et ce qui nous intéresse professionnellement.”
Nous avons commencé l’interview par cette intéressante question :
C & M: Quel est votre parcours ?
YD: J’ai été psychologue du travail et je suis psychosociologue de formation. J’ai exercé notamment au CNRS pendant 10 ans. J’ai ensuite monté une startup financée par Michael Porter, professeur à Harvard, avec des camarades. Depuis plus de 20 ans, je travaille sur les intérêts professionnels et la motivations au travail. Quand j’ai commencé à travailler sur ces sujets, “la motivation au travail” n’était pas perçue comme une priorité par les entreprises. Face aux difficultés que rencontrent les entreprises aujourd’hui en matière d’engagement, j’ai décidé avec mon associé le professeur Zwi Segal de reprendre tous les travaux sur la motivation pour faire avancer le sujet, de créer des outils pratiques et de les utiliser pour aider les entreprises. Nous avions besoin de comprendre ce qui se passait entre les collaborateurs et l’entreprise. Nous avons d’ailleurs écrit un livre à ce sujet, “La motivation, une compétence qui se développe”, Pearson dec 2015.
C & M: Avec qui êtes-vous amené à travailler comme entreprise ?
YD: Nous travaillons avec différentes entités.
Tout d’abord, nous travaillons avec des cabinets qui font de l’accompagnement de carrières.
Nos principaux interlocuteurs au sein des entreprises avec qui nous travaillons sont en général les DRH ou les responsables opérationnels, les responsables marketing ou de ventes, ou encore les dirigeants, qui souhaitent agir dans leurs équipes.
Nous utilisons des outils qui permettent de mesurer la motivation, qui permettent d’accompagner les personnes pour savoir ce qui les motive, les intéresse, les métiers qui leur correspondent.
Il faut aider les personnes à se projeter au sein du groupe, éviter les licenciements, mais plutôt aider à changer de poste.
Il existe une différence dans la prise en compte de la motivation entre la France et les pays anglosaxons. En effet, en France, il y a un réel intérêt pour la motivation mais la mise en pratique est compliquée. Ces notions de motivation et d’engagement sont importantes pour les entreprises, en la personne des DRH et des PDG, notamment dans les entreprises du CAC 40 mais finalement la motivation n’est jamais prise en compte dans les processus RH de l’entreprise. Le discours et la pratique sont différents.
C & M: Comment jugez-vous de la motivation lors d’un entretien d’embauche?
YD: Nous avons besoin d’outils pour connaître la motivation des candidats. Bien entendu, Ils sont tous motivés au premier abord, sinon ils ne se présenteraient pas en entretien. Mais les entreprises survendent les postes et l’environnement. Et finalement, on observe une démotivation précoce, au bout de 3 semaines, certains pensent déjà à démissionner.
Nous nous dotons donc d’outils pour aider le candidat à comprendre ce qui le motive et ce qui l’intéresse. Nous souhaitons que les candidats prennent conscience qu’il s’engage auprès de l’entreprise et qu’il ne fera pas que des missions qui l’intéressent, qu’il sache que dans un métier, il y a des missions qu’on aime mais pas seulement, que le candidat est conscient qu’il ne progressera pas forcément dans le poste qu’il ne faut pas se démotiver pour autant.
Il faut que l’échange entre le candidat et l’entreprise permettent au candidat de s’engager en connaissance de cause, et qu’il maintienne son engagement sur la durée prévue.
Cette question de motivation est trop peu abordée aujourd’hui mise à part dans quelques entreprises comme Airbnb ou la MATMUT en France. Par exemple, les cabinets de recrutement ne veulent pas savoir si le candidat est motivé ou non car ils sont payés par la transaction qui va être faite à l’embauche du candidat.
C & M: Que signifie l’engagement pour vous ?
YD: Il existe deux définitions de l’engagement d’après moi.
Dans les études, notamment dans celles de Gallup, on nous explique que seulement 13% des collaborateurs sont engagés envers l’entreprise. Mais nous n’avons pas constaté cela. Les collaborateurs que nous rencontrons ont l’air assez engagés. En fait, la notion d’engagement recouvre différentes choses, différents critères sont mesurés. Il faut donc faire une distinction entre l’engagement qui est une dimension affective, émotionnelle (par exemple, est ce que vous êtes fier de l’entreprise? Est ce que vous y êtes attachés ? etc). En France, le niveau d’engagement est plutôt élevé, les salariés sont attachés à l’entreprise et ne sont pas forcément prêts à la quitter. Et la satisfaction motivationnelle, les ressorts de motivation : ce qui est important pour les salariés, comme les collègues, l’environnement de travail etc.
Chacun a une combinaison de ressorts de motivation qui lui est propre. De ce point de vue chacun est donc différent.
C & M: Qu’est ce qui vous plaît dans votre travail ?
YD: Il se trouve que je suis justement très motivé dans mon travail. Aujourd’hui est une époque où chacun doit être acteur de sa carrière, voire être entrepreneur ou intrapreneur.
D’’ici à 20 ans, 50% des métiers que nous connaissons aujourd’hui auront disparus. On assiste aujourd’hui à une transformation assez majeure du travail, ce qui a un impact direct sur les relations au travail, au sein des entreprises.
L’économie d’hier était une économie de l’abondance, qui assurait un bon salaire, une sécurité d’emplois, et une bonne évolution.
Ce qui marchait avant (trouver une bonne situation, etc..) ne marche plus maintenant. Aujourd’hui, c’est la motivation qui créée l’emploi.
Ce qui me motive, c’est d’aider la transition au monde nouveau dans lequel chacun doit pouvoir trouver sa place, et donner des outils pour y arriver. Il s’agit de l’avenir, et je suis content de participer à ce changement dans ce sens.
Il reste cependant encore à convaincre: en effet, ceux qui sont resté à l’ancien modèle, motivés par le salaire ou les conditions de travail que leur emploi peut leur procurer, restent dubitatif face à cette nouvelle approche. Aujourd’hui, peu d’entreprises ont adoptée cette approche.
Malgré un diplôme en poche, de nombreux jeunes s’interrogent sur ce qu’ils vont faire de leur vie. Tout cela constitue des tendances assez nouvelles qu’on ne voyait pas avant, et qui vont induire un changement auquel je participe.
“ à la sortie du test, ils ont une vision beaucoup plus claire sur leur avenir, et beaucoup réussissent à trouver leur voie”.
C & M: Comment évaluez vous l’engagement des employés ?
YD: Nous disposons d’outils scientifiques pour cela, qui respectent des critères psychométriques. Un de nos outils s’appelle Motiva.
Nous mesurons les intérêts professionnels , les ressorts de motivation et l’engagement en utilisant des questionnaires de 20 minutes environ:
l’engagement / la motivation: on peut mesurer par exemple le leadership motivationnel du manager. En effet, ces comportements ont un impact sur son équipe. Tout le monde n’a pas les mêmes méthodes de travail, et ne travaille pas forcément comme lui, et il faut qu’il s’en rende compte (exemple: la compétition n’est pas forcément considérée comme une motivation pour tout le monde).
les intérêts professionnels: Il s’agit là de questions d’orientations par exemple, destinées aux jeunes afin de déterminer quel parcours professionnel serait adapté pour eux. Sur le site quelsmétiers.fr, les jeunes peuvent trouver une aide afin de se projeter dans l’avenir.
Il y a donc 2 solutions différentes avec des objectifs différents. Tout d’abord l’engagement en entreprise et l’engagement personnel.
C & M: Voyez vous des résultats après avoir modifié l’engagement des salariés ?
YD: Nous voyons des résultats sur les deux solutions:
Pour l’accompagnement/ l’orientation de carrières: beaucoup de personnes ont un déclic une fois les tests faits. Ils ne se préoccupent généralement pas trop de leurs projets à long terme comme leur carrière, mais plutôt de ce qu’ils vont faire le weekend prochain. Du coup, à la sortie du test, ils ont une vision beaucoup plus claire sur leur avenir, et beaucoup réussissent à trouver leur voie. Par la suite, le fait d’avoir un vrai projet leur donne l’énergie nécessaire pour faire des choses qu’ils n’auraient jamais pensé faire.
Motivation en entreprise: Nous animons régulièrement des workshops en entreprise, en réunissant les collaborateurs. Les premiers résultats de ces sessions montrent que les collaborateurs attribuent leur démotivation à l’environnement de l’entreprise, de leur manager, sans se remettre en question. L’action des outils de NextModernity leur permet de se remettre au centre de ce processus de motivation, afin de trouver eux-mêmes des leviers d’action et de prendre la main sur leur motivation. Ceci permet de créer des déclics chez eux, et leur permet ensuite de regagner la motivation perdue. Motiva leur permet de réaliser qu’ils ont eux-même un levier d’action sur des aspects de leur travail et de leur conditions de travail en entreprise. Si ces leviers sont activés, alors leur motivation et leur engagement en sera renforcé. Il s’agit de leur faire bien comprendre qu’ils ne sont pas dépendants de leur manager, ils peuvent régler en partie par eux-mêmes leur manque de motivation.
Pour conclure, je recommande aux entreprises d’introduire plus largement la motivation dans ses dispositifs RH, les résultats en sont rapidement visibles et mesurables.