La motivation: Politique RH ou compétence professionnelle ?
Conférence d'ouverture de l'université d'été du mouvement Génération RH 2015
Un certain nombre d’enquêtes actuelles attestent d’un niveau d’engagement très faible dans les entreprises. La dernière enquête Gallup fait état d’un désengagement assez fort des salariés. Seulement 30% se déclarent aujourd’hui motivés. À partir de cet état de fait, observé dans le monde, en France également, comment aujourd’hui les entreprises qui ont à mener des grandes transformations et des changements permanents peuvent-elles compter sur des salariés dont un certain nombre se disent désengagés ?
Zwi Segal a été reçu par Chantal Legendre Executive VP HR de Viaccess Orca, pour nous apporter des éléments de réponses. Zwi Segal est expert de renommée internationale dans les domaines de la stratégie en ressources humaines, il est spécialiste de la motivation et de l’identité individuelle et organisationnelle. Il est aussi Docteur et Professeur en psychologie du Travail, président de la HR Academy, co-fondateur de MOTIVA et co-auteur du livre "la motivation, une compétence qui se développe" (Pearson, 2015).
Quelles sont les facteurs qui influencent aujourd’hui la motivation ?
Six facteurs influencent la motivation et l’engagement des collaborateurs.
Premièrement, on perçoit une perte de confiance des collaborateurs dans les élites politiques, les élites organisationnelles et le leadership économique. Pour comprendre la situation, il suffit de se référer à un graphique publié il y a un an par la Harvard Business Review. On y observe l’évolution de deux facteurs entre 1950 et 2010. D’un côté, la productivité des entreprises, de l’autre, le pouvoir d’achat. Jusqu’en 1980 dans le monde occidental ces deux facteurs se sont beaucoup corrélés et ont connu une progression similaire. En 1980 la productivité a continué à augmenter fortement, le pouvoir d’achat, lui, n’a plus évolué. Ce sentiment d’injustice sociale engendre un manque de confiance des collaborateurs vis-à-vis de l’entreprise.
Deuxièmement, on identifie quatre motivations recherchées par les collaborateurs : La première motivation c’est l’autonomie. Les collaborateurs veulent avoir de plus en plus de responsabilités sur ce qu’ils font. L’autonomie est ancrée en nous depuis notre plus jeune âge. Quand un enfant commence à marcher, même s’il tombe, il sourit. Pourquoi il sourit ? Parce qu’il apprend, il commence à être indépendant. On a besoin de cette indépendance au travail. La deuxième motivation, c’est le besoin de grandir. Les collaborateurs ont besoin d’apprendre constamment de nouvelles choses, de progresser, de sentir qu’ils font quelque chose qui encourage leur développement personnel. Sur les bases de la théorie « The progress principle » il est recommandé de leur fixer des petits objectifs à court terme. Il faut que les collaborateurs aient le sentiment qu’ils avancent toujours, tous les jours, un tout petit peu. La troisième motivation que les collaborateurs recherchent c’est l’appartenance. L’appartenance à un groupe, l’appartenance à une cause sociale, l’appartenance en entreprise à un groupe de travail, par exemple. La quatrième motivation c’est la quête de sens. Les collaborateurs ne savent pas toujours donner un sens à ce qu’ils font. Ils se demandent à quoi sert leur travail, à qui ça sert, de quelle façon c’est lié à la stratégie de l’entreprise.
Le troisième phénomène qui influence la motivation des collaborateurs c’est la révolution de l’information. Il n’y a plus de secret, tout se sait très vite. Chaque seconde il y a un milliard de WhatApps envoyés dans le monde. On parle de 300 milliards de mails, on parle de 5 milliards de post sur Facebook chaque jour, pour ne citer que ces exemples. Il y a plus d’appareils connectés que d’habitants sur terre. Les entreprises se doivent d’être de plus en plus transparentes. Les collaborateurs attendent également de plus en plus un retour immédiat sur leur travail.
Cela se voit en particulier, ce qui fait l’objet du quatrième facteur, chez les collaborateurs appartenant à la Génération Y. La génération Y apporte un brutal changement dans le monde du travail. Elle partage tout sur les réseaux sociaux et a pour habitude d’obtenir en retour une réaction immédiate. Elle a grandi dans le monde du feed-back, elle est inondée de feed-back et le recherche aussi en entreprise sans l’obtenir toujours, faute de temps ou d’une importance sous-estimée par leurs managers. Cette jeune génération est à l’origine également du concept du FFF « Fast, Fan, Flexible ». Elle est prête à gagner un peu moins d’argent, elle est prête à travailler d’une façon différente avec des horaires de travail souples, elle souhaite faire quelque chose qui l’intéresse, elle souhaite contribuer, faire un travail qui ait du sens. Or Les entreprises ne comprennent pas toujours cette génération parce qu’elles conservent un modèle de travail traditionnel.
Le cinquième facteur d’influence c’est le renouvellement perpétuel de la connaissance. Aujourd’hui la connaissance technologique double tous les deux ans. Dans vingt ans la connaissance technologique doublera chaque jour. Cinq des dix métiers les plus demandés actuellement dans le monde du travail n’existaient pas il y a dix ans : les métiers de la nanotechnologie, les métiers de la robotique, les métiers du social media, les métiers de l’application, les métiers du Cloud, les métiers du troisième âge. Selon de récentes études, dans 20 ans, 40% des postes vont être remplacés par des machines, par des logiciels, par des robots. Ce sera la fin du monde du travail tel qu’on le connait.
Enfin, le sixième facteur auquel on ne peut échapper c’est la crise économique, la pire des crises économiques mondiales du XXe-XXIe siècle. C’est le chômage des jeunes. C’est aussi la fin de la classe moyenne parce que les licenciements touchent souvent des collaborateurs issus des niveaux moyens de l’entreprise, remplacés par des salaires à bas niveau.
Tous ces facteurs sont dans l’esprit des collaborateurs quand ils vont au travail ou quand ils sont chez eux.
Quel lien existe-t-il entre l’engagement et la motivation, deux notions assez proches finalement ?
Il est important d’expliquer la relation complète entre un individu et son entreprise. Pour cela, il faut mesurer l’état motivationnel de chaque collaborateur. C’est le croisement de deux facteurs : un facteur rationnel et un facteur affectif.
Par facteur rationnel j’entends la satisfaction motivationnelle. C’est à quel point ce qui est important pour moi dans le monde du travail est satisfait. Ce n’est pas ce qui est important pour l’entreprise, c’est ce qui est important pour moi sur six aspects : mon poste, mes activités, mes collègues, mon manager direct, l’entreprise en général, mon style de vie. L’outil qui permet de mesurer cette satisfaction s’appelle MOTIVA. Nous demandons aux gens, Yves Duron et moi-même, co-auteurs de cet outil, ce qui est important pour eux, à quel point c’est important pour eux, et à quel niveau ces points sont satisfaits aujourd’hui. Cela donner leur note de satisfaction motivationnelle. C’est un processus scientifique.
Nous avons identifié plus de 90 indices de motivation par individu ordonnés « du plus important » au « moins important ». Ce que l’on a découvert et ce qui est très étonnant, c’est que sur les 20 000 personnes qu’on a interrogées jusqu’à présent, on n’a pas deux personnes qui ont le même profil de motivations clés. Chaque individu est unique par rapport à ce qui le motive. Les entreprises ne le comprennent pas toujours et c’est un des éléments sur lesquels on travaille. Les entreprises mènent des actions globales sur la motivation ce qui est complètement absurde. Agir globalement sur la motivation est contre-productif. Agir au niveau individuel est une nécessité.
Par facteur affectif, j’entends l’engagement, c’est-à-dire combien je suis lié à mon entreprise, attaché à mon entreprise, combien j’ai envie de travailler pour cette entreprise. L’engagement découle lui-même de trois facteurs majeurs : premièrement, l’identification et la fierté d’appartenance, deuxièmement, l’attachement à l’équipe et à mon manager direct, troisièmement, ce qui est lié à moi-même, l’intérêt que je porte à mon poste, à ce que je fais et mon énergie.
La combinaison de ces deux facteurs, satisfaction motivationnelle et engagement, donne l’état motivationnel.
Quels sont les états motivationnels possibles entre un collaborateur et son entreprise ?
Il y a deux axes à prendre en compte : l’axe engagement/affectif et l’axe satisfaction motivationnelle/rationnel.
Premier état motivationnel possible : je suis engagé dans l’entreprise et fortement satisfait de ce qui est important pour moi dans le travail. Je suis en « histoire d’amour » avec l’entreprise. Je suis heureux et je me surpasse.
Deuxième état de nombreuses fois observé dans les entreprises : comme ça peut être le cas parfois dans une relation de couple, je suis toujours en couple mais je ne suis pas très bien, je suis toujours attachée à mon entreprise mais je commence à me demander un peu à quoi je sers. Je suis dans « la désillusion ».
Troisième état possible, « la séparation » : je ne suis plus engagé, je ne suis plus motivé. On observe aujourd’hui en 2015, non plus forcément une séparation physique entre l’entreprise et le collaborateur mais des collaborateurs présents physiquement dans l’entreprise, en séparation émotionnelle toutefois avec l’entreprise. On les appelle « les zombies de l’entreprise ». Ils sont là sans être là.
Et enfin quatrième état, « le mariage blanc » : je ne suis pas très engagé dans l’entreprise mais je suis très content dans ce que je fais, ça m’intéresse, j’ai mon salaire, il y a une bonne ambiance d’équipe, j’ai un beau bureau. Je suis dans la situation de « donnant-donnant ». On observe cette situation très fréquemment dans les SSII.
Quelle est aujourd’hui l’importance de l’engagement et de la motivation dans l’entreprise ?
L’engagement et la motivation sont deux notions importantes dans la mesure où elles ont un impact sur la santé du collaborateur. Des recherches récentes le prouvent. Elles mettent en évidence qu’il y existe une relation directe entre les divorces, les problèmes de mariage, même le rythme de relations sexuelles, et l’engagement et la motivation dans l’entreprise. Elles ont aussi observé que les risques d’infarctus étaient plus importants quand on avait un manager avec lequel la relation n’était pas bonne. Quand je vais bien dans mon entreprise, j’emporte avec moi ce sentiment de bien-être à la maison. Quand je ne vais pas bien dans mon entreprise, j’emporte avec moi ce sentiment de mal-être à la maison.
D’un point de vue purement organisationnel, l’engagement et la motivation ont aussi des répercussions sur la productivité de l’entreprise : les résultats, la croissance, la profitabilité, le rendement actionnaire, la satisfaction des clients, les accidents du travail. Il existe de nombreuses statistiques à ce sujet. L’une d’elle, celle de Dale Carnergie de 2011, compare des collaborateurs engagés et des collaborateurs désengagés. Elle démontre que le nombre de jours d’arrêt maladie par an d’un collaborateur désengagé est trois fois plus élevé que celui d’un collaborateur engagé. Ce n’est pas que le collaborateur désengagé est forcément plus malade, c’est qu’il n’a pas envie de venir au travail. Rien que 3% des collaborateurs désengagés dans l’entreprise recommanderaient à un ami de travailler dans leur entreprise. Seulement 17% des collaborateurs désengagés font l’effort de comprendre les clients et leurs besoins. Uniquement 2% des collaborateurs désengagés sont fiers de leur travail. Une poignée, 11% de collaborateurs désengagés sont heureux au travail.
Une autre étude, celle du Human Capital Institute de 2011 démontre que dans le cas d’un collaborateur engagé : sur 1€ de salaire qui lui est versé, il rembourse à l’entreprise 1,30€. Dans le cas d’un collaborateur désengagé : sur 1€ de salaire qui lui est versé, il rembourse à l’entreprise 0,60€. Cette étude révèle, par ailleurs, qu’il y a 30% de collaborateurs activement engagés, environ 20% de collaborateurs activement désengagés et au milieu, 50% de collaborateurs qui arrivent chaque matin dans leur entreprise, donnent leur temps à l’entreprise mais pas leur cœur. Dans le cas de ces 50% de collaborateurs : sur 1€ de salaire qui leur est versé, ils remboursent à l’entreprise 1€. L’entreprise ne perd rien, elle ne gagne pas plus non plus.
Aujourd’hui les entreprises mettent de plus en plus en place un certain nombre d’actions pour améliorer le bonheur au travail, le mieux-vivre, le bien-être au travail. Comment expliquer que les niveaux de motivation et d’engagement dans les entreprises soient pour autant toujours aussi faibles et préoccupants ?
Nous relevons continuellement des erreurs conceptuelles que font les entreprises au sujet de la motivation.
Ce qu’il est premièrement important de reconsidérer c’est le lien entre la motivation et l’argent. Personne n’est prêt à travailler gratuitement. Les collaborateurs veulent un salaire qui respecte leur travail. De là à croire que si j’augmente un salaire ou si je donne une prime pour récompenser un travail qui ne motive pas, qui n’intéresse pas le collaborateur, c’est ce qui va le rendre motivé, c’est faire fausse route. Il faut savoir du reste que l’effet d’une prime, d’un bonus sur un collaborateur ne dure que 2 semaines. On ne peut pas aller loin avec ça. A contrario de ce que peuvent penser les dirigeants de l’entreprise, les collaborateurs ne quittent pas forcément leur entreprise parce qu’ils ont trouvé un salaire meilleur ailleurs. Arrêtons de croire que l’argent peut tout résoudre.
Par ailleurs, il y a une adéquation entre « ce que le collaborateur fait », la motivation, et « ce qu’il sait faire », les compétences. Ce fil conducteur entre les deux, motivation/compétences, fait que chacun de nous a un talent. Or le problème c’est que très peu d’entreprises se préoccupent de la motivation. Elles se préoccupent des compétences uniquement. Les entreprises recrutent peu par rapport à la motivation, mais encore trop par rapport aux compétences. Pourtant ce qui prédit le mieux le succès d’un recrutement c’est la formule : 100% de motivations, 50% de compétences. Le problème c’est que peu d’entreprises sont renseignées sur la motivation de leurs collaborateurs. Elles en savent beaucoup sur leurs connaissances, leurs compétences, elles évaluent leur performance, leur parcours scolaire et universitaire mais connaissent rarement leurs motivations. Le facteur qui est le plus important pour prédire le succès d’un recrutement ou d’une mobilité interne dans l’entreprise n’est pas pris en compte. Certaines entreprises commencent à prendre en compte ce facteur parce qu’elles n’en n’ont plus le choix.
Dans le système éducationnel occidental on ne nous apprend pas à nous connaître, à connaitre réellement nos intérêts, nos motivations, nos compétences. Ce système éducationnel occidental est orienté sur l’importance de nous préparer au monde du travail mais pas sur l’importance de devenir expert de nous-mêmes : de connaître ce qui nous intéresse, ce qui nous motive, ce que nous souhaitons faire avant de voir ce qu’il faut faire pour y arriver. Ce système éducationnel ne nous prépare pas à la vie. C’est la raison pour laquelle il arrive parfois qu’à 40 ans, 45 ans, un collaborateur se rende compte qu’il n’aime pas ce qu’il fait. Il n’a jamais eu l’occasion de connaître ses motivations, ni à l’école primaire, ni au collège, ni au lycée, ni à l’université.
Il est important d’apprendre aux gens à connaître leurs sources motivationnelles, de leur ouvrir les yeux sur qui ils sont avant de voir ce que l’on peut faire pour améliorer leur motivation.
Quelle solution proposer aux DRH ?
Premièrement, il faut arrêter de mesurer uniquement l’engagement. L’engagement n’explique à lui seul la relation entre un individu et son entreprise. On va la rencontrer d’une façon beaucoup plus profonde sous tous les aspects motivationnels. On n’a de cesse de demander aux clients de l’entreprise ce qui est important pour eux et par rapport à ça on adapte la stratégie de l’entreprise. On ne demande jamais aux collaborateurs ce qui est important pour eux. On leur demande ce qui est important pour l’entreprise.
Deuxièmement, bien souvent dans les baromètres, tout est vraiment centré sur l’entreprise. Or il ne faut pas perdre de vue qu’un collaborateur peut être satisfait par beaucoup d’éléments dans l’entreprise qui ne sont pas importants pour lui. Il faut recentrer les mesures sur le collaborateur, sur les motivations du collaborateur et après sur l’entreprise. Il faut inverser la mesure actuelle.
Troisièmement, en matière de motivation et d’engagement, en matière d’état motivationnel, les actions globales sont inefficaces. Ainsi que je l’ai dit précédemment, sur 20 000 personnes, deux ne se ressemblent pas. Chaque personne est unique. Il ne faut pas agir globalement sur la motivation. Il faut agir individuellement.
Quatrièmement, il faut former les collaborateurs de l’entreprise à la motivation. Ce n’est plus un sujet tabou. La motivation, une compétence qui se développe est le titre de notre ouvrage qui va sortir le 4 décembre (éd. Pearson). Et pour cause, La capacité à se motiver c’est quelque chose qui s’apprend. On doit apprendre à se motiver. En entreprise la responsabilité revient au département RH de motiver les collaborateurs. Or ce département n’a ni les ressources, ni le temps, ni les moyens de motiver 5000, 6000, 8000 collaborateurs. Il faut qu’il donne le moyen à chaque collaborateur de se motiver. Le collaborateur va faire ainsi le premier pas et le service RH l’aidera ensuite à gérer sa motivation. Chaque collaborateur doit être responsable de sa motivation. C’est un objectif personnel de développer sa motivation.
Cinquièmement, l’engagement et la motivation sont la responsabilité de tout le monde. Certes la responsabilité revient à la direction et aux RH d’apporter une vision, des ressources, des moyens mais le manager est aussi important dans le processus motivationnel de l’individu pour créer une ambiance qui va permettre à l’individu de développer sa motivation. Nous travaillons beaucoup sur ce qu’on appelle le « leadership motivationnel ». Ce leadership ne tend pas seulement vers l’inspiration mais vers l’exemplarité, l’empowerment, l’attention, l’intérêt à donner du sens. Cette notion de « leadership motivationnel » est capitale dans la mesure où, au sein de l’entreprise, elle permet à une équipe d’avoir un état motivationnel positif et aux membres de cette équipe de développer leur motivation.
Pour conclure, il est primordial selon moi, et encouragé par notre solution MOTIVA, de laisser les collaborateurs, les managers et les membres de leurs équipes, discuter
entre eux, résultats en mains, de leurs motivations respectives. J’encourage les CoDIR à ne pas se mêler du processus. Laissez le processus commencer en bas.